mercredi 16 janvier 2013

Écrire 10 : Entrevue avec Harlan Coben, féru du sport

                                                    
L’écrivain à succès américain, auteur de romans policiers, est un féru de sport qu’il met régulièrement en scène dans ses livres. Rencontre. Dossier réalisé par Jérôme Cazadieu Photos Corinne Dubreuil/ L’Équipe
Pourquoi avoir choisi l’univers du sport comme toile de fond de vos intrigues policières ?
Le sport est un microcosme de la société. Mais ce qui le rend si particulier, c’est que les travers qui le parcourent sont poussés à outrance. L’argent coule à flots, il est porté par des héros ultramédiatisés, dont les actions inspirent plein d’émotions au public. Il y a aussi le facteur chance qui m’attire et qu’on minimise. Combien de carrières de sportifs se sont dessinées sur une bonne passe d’un coéquipier ou sur une mauvaise décision arbitrale ? La différence entre un raté et une légende est parfois ténue. Donc le sport est un lieu parfait pour voir se commettre des crimes ou des délits. En même temps, à bien y regarder, on peut se demander pourquoi le sport intéresse tant de monde, pourquoi tant de gens sont scotchés devant des matches, lisent des magazines spécialisés ? Qu’est-ce qui amène le public à admirer des personnalités qu’on ne connaît que pour leur déploiement de forces, alors que personne ne s’intéresse aux scientifiques qui essaient de découvrir un vaccin contre le cancer ? Ce paradoxe m’a donné envie de le prendre comme toile de fond de certains de mes livres.

La personnalité des sportifs, plus que l’organisation du sport, semble vous fasciner. Dans vos livres, ce sont souvent des êtres égoïstes, un peu fous, aux comportements addictifs...
(Il maugrée.) Pas Myron (Bolitar, son héros principal, agent sportif) quand même... Mais c’est vrai, beaucoup d’athlètes sont sur la bordure, dont certains que vous admirez en tant qu’athlètes mais avec qui vous n’aimeriez pas passer juste une après-midi... Un grand sportif n’est pas nécessairement quelqu’un d’aussi grand dans sa vie. Mais en même temps, pour devenir un champion, il faut faire preuve de courage, d’obstination, ne pas être strictement égoïste. La psychologie des sportifs est un terreau fertile pour moi.
En quoi vous sert-elle dans vos livres ?
Ces personnes sont entièrement dévouées à leur but. Prenez un coureur de 100 m qui veut gagner la médaille d’or aux Jeux Olympiques. Il va se lever tous les matins très tôt, il s’entraînera ensuite pendant des heures et des heures. Et il répétera cela chaque jour, pendant des semaines, des mois, des années, pour gagner sa médaille et obtenir la reconnaissance populaire. Ça crée forcément des comportements parfois obsessionnels. Et ce même sportif, un jour, prendra des stéroïdes car les gars qui joueront face à lui le feront déjà ou parce qu’il aura conscience qu’il ne peut plus faire le match... Vous savez, il y a eu plein d’études aux États-Unis pour comprendre comment un sportif passe au dopage. On a demandé à des sportifs honnêtes, propres, s’ils seraient prêts à recourir à un produit dopant pour améliorer leurs performances. Ils ont souvent répondu oui. Et on ne parle pas là de vilains et diaboliques sportifs...
- La déchéance de Lance Armstrong n’est-elle pas le meilleur exemple de la dualité des sportifs ?
Le cas d’Armstrong me fait penser à celui de Roger Clemens en baseball (*). À la limite, ils me font penser aux politiciens enferrés dans des histoires de sexe. Ils arrivent à se convaincre qu’ils n’ont rien fait de mal ou même qu’ils ne se sont jamais dopés alors que, pour l’un, son coach a déclaré sous serment qu’il s’est dopé et que, pour l’autre, ses coéquipiers l’ont fait. Le problème avec ces “grands athlètes ?, c’est qu’ils se sentent différents des autres, au-dessus de leurs partenaires. Ça m’agace. Car cela les amène à essayer de détruire les autres en s’attaquant à leur réputation, en les traitant de menteurs.
À quoi ressemblerait une intrigue avec Lance Armstrong comme personnage ?
Il ne serait pas très difficile d’en faire un “méchant" Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je ne suis jamais d’un seul côté. À la limite, l’intérêt serait de voir ce qui a poussé ce “méchant ? à le devenir. Que s’est-il passé dans sa vie, dans son enfance, qui l’a amené à devenir ce triste personnage qu’on a découvert dernièrement ? Pour revenir à sa situation actuelle, je pense qu’il va finir par admettre qu’il s’est dopé, car il est intelligent. Même s’il a sûrement des raisons qui l’empêchent de tout déballer, il ne peut pas être plus discrédité qu’il ne l’est aujourd’hui. Donc je ne vois pas comment il ne pourrait pas finir par avouer.
- Quelles sont les informations sportives qui vous intéressent le plus pour construire vos histoires ?
Je dois avouer que les scandales de ces dernières années aux États-Unis m’ont captivé. Les stéroïdes, les paris sportifs, les agents qui font signer des joueurs universitaires ou mineurs de manière illégale, des mineurs qui sollicitent des agents pour qu’ils leur donnent de l’argent... Je me suis aussi beaucoup documenté sur la manière dont les joueurs s’impliquent dans le monde publicitaire, comment ils commercialisent leur image. Après, je cherche des histoires pas académiques. J’avais été très marqué par le parcours d’une athlète qui avait tout quitté pour travailler dans un “coffee shop ?, en top less (rires). Mais je n’en ai jamais rien fait !
Dans votre vie, un épisode vous a-t-il donné envie de faire du sport votre aire de jeu ?
A seize ans, j’ai fait le “serveur ? de Red Auerbach, l’ancien entraîneur et general manager des Boston Celtics (il a remporté neuf titres en NBA et totalise 938 victoires en NBA), pendant un été. Un camp avait été organisé pour des gamins friqués et, au bout de quelques jours, des joueurs des Celtics, les débutants et les plus jeunes, étaient venus s’entraîner. Il y avait parmi eux Larry Bird, que j’admirais, et Cedric Maxwell... Je faisais plein de petits trucs pour Auerbach qui passait son temps à fumer des cigares et à manger. Un jour où je lui apportais son déjeuner, il me demande de rester là. Il me montre une de ses bagues (de vainqueur d’un titre NBA), et me lance en soufflant de la fumée au visage : "Regarde ça mon garçon, celle-là, je l’ai gagnée en 1967-1968 contre les Los Angeles Lakers". Puis il m’a raconté toute la saison. Génial. Il m’a fait entrer dans un monde que je n’ai pas cessé de décrire par la suite.
- Vous avez situé vos intrigues dans le milieu du tennis, du golf, du baseball, du football américain et du basket. À quand un polar se déroulant en Europe avec Bolitar qui conseille un footballeur ?
Je réfléchis à une intrigue où Myron irait rendre visite à un client footballeur, en marge d’un match de Coupe du monde. Je ne connais pas grand-chose au football mais à la limite, comme Myron est agent sportif, il n’a pas besoin de connaître les règles. Mais ce n’est qu’une idée pour le moment…"
(*) Roger Clemens fut un des lanceurs vedettes des New York Yankees et des Houston Astros. En 2008, après la publication du rapport Mitchell sur le dopage dans le sport américain, il comparaît devant le Congrès américain où il nie les accusations de dopage à son encontre, notamment celles de son ancien entraîneur Brian McNamee. Après un premier procès ajourné, il est finalement déclaré non coupable, les procureurs jugeant les déclarations de McNamee non crédibles.
"Il ne serait pas très difficile de faire d’Armstrong un méchant"

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