lundi 10 décembre 2012

ÉCRIRE 9 : Polar 101 de Jacques Côté

Polar 101





Notre écrivain en résidence, Jacques Côté, propose pour son premier billet d'une série de six de démêler les sous-genres du polar. Un exercice éclairant!

JacquesCôté_2.jpgAlors que le roman policier est de plus en plus métissé, il fut un temps où les catégories du genre étaient cloisonnées. Il y a eu d'abord les romans de détection - les « whodunit » -, popularisés par Agatha Christie et Conan Doyle. Ces romans se passaient souvent dans un lieu clos avec des personnages stéréotypés. Le but du lecteur, comme celui du limier, étant de découvrir l'assassin, et d'assembler les pièces du casse-tête. Le roman devenant un jeu de dissémination et de dissimulation des indices où l'on retarde le dénouement jusqu'à la résolution du crime.

En réaction au « whodunit », le roman noir met l'accent sur le crime plutôt que sur l'enquête et se fait aussi appeler « hard-boiled novel » (roman de dur à cuire). Le raffinement d'un Poirot laisse place à des privés aux manières rudes et à des gangsters sans scrupule. L'enquêteur peut n'être qu'un personnage secondaire et le criminel, le personnage principal. Le roman noir a tout du roman sociologique : les villes sont présentées comme des terreaux fertiles à la criminalité ; les lieux décrits sont malfamés et l'atmosphère glauque. Les beaux manoirs du « whodunit » font place à des repaires de bandits. L'intérêt du lecteur ne réside plus seulement dans l'élucidation du crime, mais dans la peinture sociale du milieu. Hammett, Cain, Thompson et Riley-Burnett sont des représentants de cette école.

Dans les années 50, le roman de procédures judiciaires nous fait passer du noir au clair-obscur. On y présente le métier d'enquêteur avec réalisme. Ces policiers, contrairement aux privés du roman noir, exercent leur métier dans les règles. Ed McBain est le maître du genre.

Appelé aussi roman de la victime, le suspense nous met en état d'attente. Il joue avec nos nerfs, se révèle plus angoissant. La victime survivra-t-elle à ses assaillants ? Souvent accusée injustement, elle devra laver sa réputation. Le lecteur se projette et vit les peurs de celle-ci. Hitchcock, qui a adapté L'Inconnu du Nord-Express de Patricia Highsmith, définit ainsi le suspense par rapport au roman de détection : « Le whodunit suscite une curiosité dépourvue d'émotion ; or les émotions sont un ingrédient nécessaire au suspense. [...] Dans la situation classique de la bombe qui explosera à une heure donnée, c'est la peur, la crainte pour quelqu'un, et cette peur dépend de l'intensité que met le public à s'identifier avec la personne en danger. »

Le mot « thriller » renvoie quant à lui à une expérience sensorielle : « to thrill ». Selon Norbert Spehner, c'est devenu un terme galvaudé. Il sert de nos jours à désigner tous les types de romans policiers. Le thriller procure des émotions fortes - ce petit frisson le long de la colonne. Le silence des agneaux de Thomas Harris est un bon exemple de thriller réussi.

Dans le roman médicolégal, la police scientifique est au premier plan. Les experts en homicides sont les artisans de l'enquête. Le genre a été popularisé dans les années 90 par l'anthropologue judiciaire Kathy Reich et Patricia Cornwell. Cette tendance a été vite récupérée par la télévision avec des séries comme Bones, CSI et Dexter.

Il y a aussi les polars historiques et ceux à tendance western. On constate que les romans policiers sont de plus en plus hybrides. Le polar vit sa postmodernité.

Edgar Allan Poe serait fier de sa lignée de bâtards.


Sources
Hitchcock-Truffaut, Les entretiens avec Hitchcock, Ramsay, 1983, p. 57
Patricia Highsmith,
L'art du suspenseNorbert Spehner, Scènes de crime, Alire, 2010
Notes de cours de l'auteur

*

Lire les autres blogues de Jacques Côté :
Géographie du roman policier
Polar et investigation
Mécanique du crime parfait
Plan : en avoir ou pas ?
Les premiers mots du roman


Jacques Côté a publié aux éditions Alire plusieurs romans policiers dont Le Rouge idéal, Le Chemin des brumes et Nébulosité croissante en fin de journée. Il a remporté à trois reprises le prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier canadien. Il est également l'auteur de la biographie Wilfrid Derome, expert en homicides (Boréal) pour lequel il a reçu le Grand Prix La Presse de la biographie. Jacques Côté travaille sur une nouvelle série policière, Les Cahiers noirs de l'aliéniste. Deux romans de cette saga historique, Dans le quartier des agités et Le Sang des prairies, ont été publiés. Le troisième tome, Le mausolée du docteur Death, paraîtra à l'hiver 2013.


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